D'accord j'y suis maintenant... Il faut développer. Cette idée amenée sans plus de précision risquait de générer la perplexité. Lisez bien, lisez tout, avant de considérer que je suis un conservateur qui tente de s'incruster dans ces colonnes. Je vous engage aussi à ne pas prendre au mot, à ne surtout pas sacraliser, le discours des instances culturelles, c'est celui du marché. Bien, il faut avant tout préciser qu'il ne s'agit pas d'une invention, d'une idée nouvelle, même pas d'un sujet qui serait dans l'air. Bien au contraire il s'agit d'une idée, d'une réalité, très ancienne, oubliée, et qui n'est pas comptabilisé dans les modes d'expression contemporain. Dommage ! En réalité tous les grands peintres, ceux que peut-être vous vénérez, les Manet, Monet, Van Gogh, Cézanne, Soutine, Matisse, Bonnard, Braque, Picasso... ont été formés à cette école. Aujourd'hui les gens, à commencer par les artistes en herbe, ne dessinent plus ou pratiquement plus... C'est très étrange, au sens propre c'est grave. Je précise que ça vaut tout particulièrement ou plus particulièrement pour la France. Concrètement dans la plupart des écoles des Beaux-art on donne dans le conceptuel, dans les académies privées on pratique le dessin d'observation — j'y reviens, dans les écoles les profs spécialisés ont souvent fait leurs classes à la faculté et n'ont jamais vraiment dessiné, quant aux artistes amateurs, ils dessinent d'après photo et (surtout) pas d'après nature. Bon ! vous vous dites ce mec exagère, il noirci le tableau. Un tout petit peu sans doute, mais pour l'essentiel c'est vrai. On imagine pas effectivement. Comment est-il possible qu'aux Beaux-arts de Paris ou d'ailleurs on ne dessine plus ? C'est une longue histoire à relier avec le déclassement actuel de la peinture et le règne du conceptuel et de la photographie. Je ne développerais pas il s'agit simplement de la réalité du marché de l'art contemporain, une sélection entérinée sans le moindre atermoiement par les autorité culturelles, les enseignants art-plastique et la critique. Au plan général je suis un partisan définitif de la lutte des classe, c'est pourquoi j'aime le PCF qui, contrairement à d'autres, n'a jamais renié cette lutte. Je l'aime d'autant plus que ce parti a été ardemment soutenu par des artistes d'exception comme Picasso. Picasso est resté fidèle au parti sa vie durant. C'est en vertu de ces deux derniers points que je développe ici cette contribution. Bien je reprends, je vais risquer une hypothèse, en fait il s'agit plutôt une conviction: Picasso a gagné sa liberté, son extraordinaire liberté, grâce à une intense pratique du dessin et de la peinture d'après nature menée durant l'ensemble de ses jeunes années. Il y a aussi le travail d'après les maîtres, mais je ne chargerai pas davantage ma barque. Le dessin d'après nature est a distinguer bien sûr du travail d'après une petite plate et misérable photo, mais il est aussi a distinguer du dessin dit d'observation. Dans les deux cas on peut bien sûr parler de copie ou plutôt de mimesis. L’apprentissage même de la vie se fonde sur un processus d’imitation ou mimesis et à condition de s’appuyer sur de bons modèles, la mimesis favorise la créativité. Cependant, il nous faut distinguer d’emblée et le plus clairement possible la mimesis reproductrice, c’est-à-dire l’imitation plate, littérale, d’un modèle, de la mimesis productrice, qui suppose l’appropriation et l’interprétation du modèle. Le processus que nous retiendrons, celui qui fait notre affaire, est celui d’une mimesis utilisée comme force productrice. Il contribue non seulement à la formation initiale des peintres et, plus largement, au développement de la créativité. La mimesis reproductrice qui ne mène a rien d'autre qu'au développement de l'habileté est l'ambition et la matière du dessin d'observation. La mimesis productrice est la ligne, l'idée même du dessin et de la peinture d'après nature telle que l'on retenu les pointures du domaine picturale ceux qui encore aujourd'hui sont susceptibles d'enrichir, d'enchanter, d'élargir, de magnifier notre quotidien. J'en ai déjà cité quelques-uns. Là ça devient sans doute un peu long, je dois conclure. Où est le problème ? Exactement ! L'idée c'est que la peinture, le dessin, la gravure, la sculpture, dans la pratique et la contemplation, n’appartiennent pas à la classe aisée (même si la menace est plutôt sérieuse). On peut, même venant d'une citée de Bobigny, tomber la dedans, c'est mon cas; un petit miracle je l'avoue. Je crois que ça peut relever d'une éducation populaire. Il suffit d'un phénomène d'émulation. On s'engage dans un atelier de dessin/peinture d'après nature. On regarde avec les autres élèves l’œuvre des tauliers, les Bonnard, Monet, Manet... déjà cités. On se campe devant un modèle ou en pleine nature avec l'idée, non de la copier bêtement, de tenter stupidement de faire plus vrai que la réalité, mais avec celle d'une interprétation, d'une appropriation, d'une enivrante spéculation. Bien sûr la nature est extraordinairement complexe et mouvante et les débuts sont toujours périlleux, mais il y a quelques fondamentaux (le travail d'ensemble, l'unité, l'idée d'immensité, la circulation de la lumière...) que l'on retrouve systématiquement dans le travail des figures tutélaires et qui vont nous aider. Faites ça quelque temps et vous serez surpris, ou plutôt vous vous surprendrez. De votre travail des compositions inédites, inconnues, vont naître. En gros, vous êtes en train de développer une authentique (au sens où elle n'est pas apprise, fabriquée) créativité. Ça serait vraiment moche de perdre tout ça ! non ? Aussi je propose tout simplement que cette pratique, qui peut se révéler si étonnante, quasi magique, du dessin et de la peinture d'après nature reste inscrite ou le plus souvent soit inscrite à nouveau au programme de tous les établissements d'enseignement artistiques publics. Dessinons, dessinons beaucoup, régulièrement, en nous nourrissant quelques années au moins au sources prolixes, infinies, infiniment subtiles du monde sensible.